Samokov, ville distante à quelque soixantaine de km au sud de Sofia possède une riche histoire. En témoignent les nombreux sites touristiques qui attirent des milliers de visiteurs à longueur d’année. Fondé au Moyen-âge Samokov devient rapidement un centre culturel où se côtoient des populations de culture et de religion différentes. La mosquée Bayrakli, monument conservé jusqu’à nos jours et classé au patrimoine national en est un témoignage. Elle serait édifiée autour de 1845, de Mehmed Husref pacha. Le directeur du Musée d’histoire de la Ville Vesselin Hadjianguelov indique que les seuls documents concernant sa construction et dont on dispose font partie des archives de Christo Yovevitch - un des peintres qui l’ont décorée. Parmi ces documents on retrouve „ des esquisses de l’époque concernant les peintures murales. On peut voir la mosquée sur des photos et des cartes postales de la fin du 19e siècle“, dit encore Vesselin Hadjianguelov. Elle est construite selon les codes des lieux du culte musulman de l’époque – un quadrilatère, tourné vers le sud-est en direction des villes saintes de La Mecque et de Médine et est dotée de la niche de prière - mihrab.
Notre interlocuteur ajoute que le mode de construction témoigne que la mosquée est l’oeuvre de maîtres- bâtisseurs bulgares, fermement convaincu que les peintures murales en font un monument unique :
„Les bâtisseurs nous ont légué non seulement un superbe échantillon de leur art, mais aussi des traces très parlantes. Dans les années 70 du siècle dernier la mosquée a été restaurée par Gueorgui Belstoynev de Samokov, un des meilleurs spécialistes dans ce domaine. Au cours des travaux ont été mis au jour deux inscriptions gravées sur l’enduit de mortier de l’une des parois. A l’angle sud-est est tracé le plan d’une église qui fait penser à celle du monastère de Rila, d’où l’opinion partagée par la majorité des chercheurs que les maçons qui ont bâti l’église du monastère après le dernier incendie qu’il a subi, sont ceux- là mêmes qui ont édifié la mosquée Bayrakli. L’autre inscription est à l’angle nord-ouest - on peut y lire trois noms Ivan, Christo et Kosta, et qui coïncident avec les noms de trois peintres d’églises de Samokov de l’époque – Ivan Ikonopissetz, Christo Yovevitch et Kosta Valiov. Donc il est possible de faire le rapprochement et supposer que c’est justement à ces zographes bulgares – peintres d’icônes – que nous devons les superbes décorations de la mosquée.”
Dans quelle mesure le style des peintures, propre au christianisme a influencé la décoration de la mosquée ?
„C’est justement cela qui distingue ce monument des autres du genre – dit Vesslin Hadjianguelov. – La décoration typique des maisons de prière de l’islam représente des tougra – les monogrammes des sultans, les sceaux, calligraphiés avec une infinie élégance, des versets coraniques, des figures géométriques. Dans cette mosquée la décoration est extrêmement somptueuse et évoque les ornementations baroques des édifices publics d’Europe centrale et de l’est. Des croix s’y entremêlent habilement masquées par des éléments végétaux, ce qui est une nouvelle indication de l’obédience chrétienne des peintres. L’étoile de David de la coupole fait également une forte impression et sa présence dans le temple musulman s’explique que ce symbole solaire, connu depuis l’aube des temps figurait dans tous les édifices cultuels. D’où la conclusion qu’il n’y a aucun lien entre judaïsme et islam.”
Peut-on parler d’un goût artistique commun en matière de religion, et dans notre cas du christianisme et de l’islam ?
« Oui, probablement, dit l’historien Vesselin Hadjianguelov. – A cette époque tardive de l’Empire ottoman les frontières sont déjà ouvertes, les populations peuvent circuler hors de ses frontières. Les contacts et les échanges culturels avec les Etats chrétiens plus riches et plus évolués, exercent un impact certain grâce à leurs avancées artistiques. Et lorsque Mehmed Husref pacha arrive pour la cérémonie d’inauguration de la mosquée, les dignitaires musulmans sont stupéfaits et indignés d’en découvrir la décoration somptueuse qui, à leurs yeux est loin des canons musulmans pour une maison de prière. Ils ont exigé d’effacer les peintures car elles étaient l’œuvre d’infidèles, de chrétiens et n’étaient pas de nature religieuse. Or, Mehmed pacha, homme cultivé et éduqué, diplomate et militaire de carrière fut tellement impressionné par cette beauté qu’il ne laissa pas faire. L’unique concession consentie avait été de décorer la niche du mihrab avec des images de mosquées de La Mecque et de Médine – révélées lors des travaux de restauration. Donc les traditions avaient été respectées. Et il ne faut pas oublier, que dans les riches demeures aussi bien des chrétiens que des musulmans, la coutume voulait qu’il y ait des décorations riches et impressionnantes.
Il a été décidé, qu’une fois les travaux de restauration de la mosquée Bayrakli achevés, elle deviendra „un espace d’exposition pour le patrimoine culturel ottoman, parce que nous ne devons pas perdre de vue sa présence considérable dans la vie et la culture de notre pays“, dit en conclusion Vesselin Hadjianguelov.
Version française : Roumiana MarkovaPhotos: bg.wikipedia.org, samokov.info, bgglobe.net
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